mercredi 29 mai 2013

Quand la gauche se voile la face, l'extrême-droite s'exhibe ...

Pour les partisan(e)s de gauche de l'interdiction du port du voile dans des lieux et des circonstances de plus en plus nombreux au fur et à mesure des années et des propositions de loi, ce combat n'aurait rien à voir avec du racisme et/ou de l'islamophobie. Bien au contraire, ce serait une démarche qui permettrait de couper l'herbe sous le pied à l'extrême-droite, en ne lui laissant pas « le monopole de la laïcité » et cela permettrait justement de mener sereinement et en parallèle le combat antiraciste.

Pourtant, lorsque des personnalités se revendiquant de la laïcité ont choisi de lancer une initiative pour l'interdiction du voile dans les établissements privés suite à l'affaire Babyloup, l'antiracisme a bien été considéré comme une valeur négligeable et de manière très concrète : lorsqu'il s'est agi de choisir cinquante « premier(e)s signataires, destinées à mettre en valeur la « diversité citoyenne » de l'appel , cela n'a dérangé personne de solliciter Michèle Vianès.

Pourtant cette même Michèle Vianès a assigné la LICRA en justice, il y a déjà quelques temps, et la première audience s'est déroulée mardi 14 mai dernier. Le motif ? Dans un dossier sur l'extrême-droite lyonnaise publié en 2012, la LICRA accusait Mme Viannès, présidente de l'association Regards de Femmes, d'être « xénophobe » et de cacher « derrière un discours anti-musulmans un renouveau du racisme anti-arabe”.  

De deux choses l'une : ou cette accusation n'a aucun fondement, et les initiateurs et signataires de la pétition de Marianne pourront dénoncer à juste titre des amalgames inacceptables entre leur combat laïque et le racisme. Ou cette accusation est vraie, et dans ce cas, en toute connaissance de cause, les « anti-voile » légitiment les attaques contre l'antiracisme venues de l'extrême-droite.

En réalité, en ce qui concerne Michèle Vianès, le débat est assez vite clos.

D'abord parce que madame Vianès est élue municipale de Debout la République à Caluire, petite ville surnommée le « Neuilly Lyonnais », et a également été candidate de ce mouvement aux élections européennesde 2009. Evidemment, on peut débattre du fait de savoir si Nicolas Dupont-Aignant est plutôt « droite extrême » ou « extrême-droite ». Mais disons que la controverse serait un peu oiseuse et même déplacée, surtout lorsqu'il est question de racisme et d'islamophobie : l'invité vedette de Debout la République à la convention nationale qui s'est tenue ce samedi 25 mai était en effet le numéro 2 de l'UKIP . Ce parti d'extrême-droite anglais vient de faire 25% aux municipales et ses membres appellent aux attaques physiques contre les musulmans en ce moment même, entre deux sorties négationnistes.

Michèle Vianès est aussi une activiste très motivée de la société civile : dès la création de Riposte Laïque, elle s'investit à fond dans l'association, et l'on ne compte plus ses articles sur le site des organisateurs du célèbre Apéro Saucisson Pinard. Mme Vianès ne s'est pas cachée non plus de sa participation côte à côte avec le Bloc Identitaire et des membres de l'extrême-droite suisse aux Assises contre l'Islamisation en 2010. On trouve encore sur le site de son association la revendication assumée de cette collaboration avec l'extrême-droite dure, lors de son intervention à un colloque lyonnais le 30 septembre 2011.

Ce sont ces faits qui étaient exposés dans le dossier contre l'extrême-droite lyonnaise de la LICRA, et c'est cet exposé de son activité militante que Mme Vianès ne veut pas voir qualifié de raciste. Si elle gagne son procès, la jurisprudence nous concernera tous, puisque le compagnonnage avec des organisations d'extrême-droite ne pourra plus être dénoncé pour ce qu'il est.

Malheureusement cela ne semble pas inquiéter les autres initiateurs et initiatrices de la pétition Babyloup, qui, pourtant se revendiquent pour beaucoup de l'antiracisme militant, et dont certain(e)s sont même les cibles de Riposte Laïque ou du Bloc Identitaire.

A vrai dire, les seuls à s'être inquiétés publiquement de cette cohabitation entre des amis de l'extrême-droite et des gens de gauche sur cette pétition...ce sont justement les militants d'extrême-droite. Le 28 mars 2013, une rédactrice du site Riposte Laïque publie un appel à signer la pétition de Marianne et « tranquillise » ses camarades : bien sûr la pétition est signée notamment par des « laïques de gauche », qu'il est normal de haïr, mais «  toute loi contre le voile est bonne à prendre » et surtout «Michèle Vianes, présidente de « Regard de Femmes » est en matière de voile du même côté que nous. C’est elle le soutien de la première heure de Natalia Baléato. Et témoignage de son engagement, elle bataille contre la LIcra à laquelle elle a intenté un proçès pour avoir traité son association de mouvement « racistes », « xénophobe », « révisionniste », « cachant derrière un discours antimusulmans un renouveau du racisme anti-arabe ». ».  

Voilà les fascistes rassurés. Les antiracistes le sont moins, évidemment.

La question,en effet, est bien celle de la constitution d'un mouvement « transcourants », « ni droite, ni gauche » autour de certaines thématiques . Ce dont il s'agit c'est bien de la banalisation de l'extrême-droite , de son intégration au sein de la gauche...et en conséquence de l'exclusion de celles et ceux qui refusent cette intégration. Le silence autour du procès intenté par Vianès contre la LICRA n'est pas autre chose que cela.

Il ne s'agit pas d'une « infiltration » bien menée, et en toute discrétion. Comme nous l'avons vu, Michèle Vianès assume son engagement électoral dans un parti d'ultra-droite comme elle assume sa participation à des évènements d'extrême-droite, sur le sujet même à propos duquel une partie de la gauche travaille avec elle : l'islam, donc.

Cette collaboration, malheureusement, ne date pas d'aujourd'hui : en août 2009, une autre pétition, contre le port de la burka et du voile dans l'espacepublic est lancée par trois animateurs/animatrices de Riposte Laïque, Pierre Cassen, Anne Zelensky, et Annie Sugier (1), cette dernière figurant également dans les premiers signataires de la pétition Baby Loup. Cette pétition se veut un appui à la mise en place, un mois plus tôt d'une mission parlementaire d’information sur « la pratique du voile intégral sur le territoire national » initiée par le député communiste André Gérin. Cette pétition sera signée par des secrétaires fédéraux du Parti socialiste, par des syndicalistes CGT et CFDT, par des militantes féministes. Déjà ces signataires ne sont pas dérangés d'être en compagnie d'Ivan Rioufol et d'autres personnalités d'ultra-droite sur un appel lancé par une association, qui à l'époque déjà ne cache pas ses proximités à l'extrême-droite.

A l'heure où la perplexité s'exprime dans les rangs de la gauche à chaque fois que des militant(e)s en vue passent avec armes et bagages au FN où dans d'autres formations d'extrême-droite, où il est de mise de dire à chaque fois qu' « on n'avait rien vu venir », il est peut-être urgent de s'interroger : lorsqu'on construit soi-même les passerelles, est-il étonnant que des gens les empruntent ?

Lorsqu'on considère que certains sujets justifient une alliance avec l'extrême et l'ultra-droite, est-il étonnant qu'ensuite des militant(e)s estiment que c'est l'extrême-droite qui sera la plus à même de combattre sur ces sujets ?

A regarder les discours portés sur les femmes voilé(e)s et le sort à leur réserver, à gauche et à l'extrême-droite, on fait très vite un constat sans appel : la position de l'extrême-droite n'a jamais varié, leur objectif étant l'interdiction du voile partout , comme support de l'exclusion des musulmanes de tous les secteurs de la société. Riposte Laïque se crée ainsi en 2007 sur l'affaire « Truchelut » du nom d'une tenancière de chambres d'hôtes qui avait refusé ses prestations à une femme sous prétexte qu'elle était voilée. Mme Vianès saisit, elle, et depuis longtemps, toutes les occasions pour exclure les musulmanes de la vie publique. Ainsi en 2002, son association déclenche sciemment une polémique concernant la participation d'une femme voilée dans une commission extra-municipale du Grand Lyon. A cette occasion, elle accuse les femmes voilées dans leur ensemble d'être « complice de la domination masculine, et donc des viols collectifs avec actes de barbarie » et ajoute au passage une comparaison  ignoble entre le voile et l'étoile jaune , n'hésitant pas à relativiser l'antisémitisme d'Etat.

Dans la partie de la gauche qui exige sans cesse de nouvelles mesures contre la présence des femmes voilées, le discours ne cesse d'évoluer et de se contredire, au fil des années : au départ, il s'agissait « seulement » de l'école publique , de ses professeurs et de ses élèves. Puis, l'on est passé aux parents d'élèves et à l'extérieur de l'école, puisque ce sont les mères accompagnatrices de sorties scolaires qui ont été visées. Ensuite, la notion de laïcité , pourtant très clairement liée à l'Etat, leur a semblé pouvoir être étendue aux assistantes maternelles , puis aux crèches privées. Et demain ?

Et le glissement ne concerne pas seulement les lieux et les espaces sociaux où le voile devrait être interdit. On est lentement passés d'un discours fondé théoriquement sur la protection des femmes et des jeunes filles, et sur le « potentiel libérateur » de l'interdiction du voile, à une logique qui désigne clairement les femmes voilées comme des dangers pour les autres, et notamment pour les enfants qu'il s'agirait de « protéger ».

De victimes passives de l'intégrisme religieux, toutes les femmes voilées sont devenues dans les discours de gauche, des propagatrices actives de cet intégrisme. Ce ne sont donc pas des militantEs d'ultra-droite comme Michèle Vianès qui ont infiltré la gauche , mais bien une partie de la gauche qui en vient à valider la vision paranoïaque et discriminante des femmes voilées portée par l'extrême-droite depuis très longtemps.

La femme voilée devient ainsi l'ennemi fantasmé qui permet manifestement l'occultation du danger réel , celui de l'extrême-droite, dans l'esprit de militantEs de gauche qui finissent par faire alliance avec des ennemis objectifs de la laïcité : par exemple des compagnonnes de route du Bloc Identitaire, comme Mme Vianès, ce Bloc Identitaire qui aujourd'hui constitue la fraction la plus dure et la plus violente du mouvement opposé au mariage pour tous . Ce mouvement qui entend dicter sa loi, fondée sur la religion, à une cérémonie civile.

Et ce mouvement a bien montré d'où venait la menace réelle contre la laïcité : sans surprise de l'extrême-droite française et de l'Eglise Catholique qui a mobilisé massivement une partie des croyants. A l'inverse, si certains responsables musulmans se sont alliés aux responsables de la Manif pour Tous, notamment ceux de l'UOIF, mais aussi ceux de l'association Fils de France, parrainés par Tarek Oubrou et Robert Ménard, il faut bien constater que leur initiative n'a pas amené un nombre significatif de musulmans à se mobiliser, et ce quelle que soit leur opinion sur le sujet. Celle-ci est restée très majoritairement cantonnée à la sphère privée et à certains lieux de culte.

Il y a donc bien urgence sur le front de la défense de la laïcité : et il y aurait eu ces derniers mois mille sujets de pétition auxquelles des personnalités connues auraient pu apporter leur concours. Au premier chef, la défense de l'école et du secteur public de la petite enfance, qui sont bien menacés, à forces de coupes drastiques dans les budgets, de manque de personnel , et, ce pendant que le secteur privé ne cesse de se développer avec des financements publics. Le voilà, le vrai danger, le risque fondamentaliste éventuel : la destruction de l'école publique, qui amènera à un retour en arrière effectif, la prise d'influence grandissante du secteur de l'enseignement privé à dominante religieuse.

Malheureusement, celles et ceux qui aujourd'hui pensent sincèrement défendre la laïcité en se laissant hypnotiser par le chiffon rouge du voile agité par l'extrême et l'ultra-droite , au point de s'allier avec certainEs de ses représentantes, vont contribuer à l'enterrer. A la grande joie de tous les fondamentalistes religieux, qui avec des ennemis pareils, peuvent même se passer d'amis. 

(1) Depuis Annie Sugier a quitté Riposte Laïque,  non sans avoir en juin 2010 , sur son dernier article visible sur le site, applaudi l'initiative de l'Apéro Saucission Pinard menée avec le Bloc Identitaire.

Sur l'offensive de l'extrême-droite et du patronat, sous couvert de prétendue défense de la laïcité, voir aussi cet article sur la situation à la RATP  

2 commentaires:

  1. amonhumbleavis1 juin 2013 à 03:29

    Merci pour cet article!

    A noter que les associations laïques historiques sont bien sûr contre toute nouvelle loi.

    http://www.fnlp.fr/spip.php?article858

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  2. artcile qui sera republié sur RLF -isere. (en mentionnant source, bien sûr !!) Vous n'y voyez pas inconvénient ?

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