Pour les partisan(e)s de
gauche de l'interdiction du port du voile dans des lieux et des
circonstances de plus en plus nombreux au fur et à mesure des années
et des propositions de loi, ce combat n'aurait rien à voir avec du
racisme et/ou de l'islamophobie. Bien au contraire, ce serait une
démarche qui permettrait de couper l'herbe sous le pied à
l'extrême-droite, en ne lui laissant pas « le monopole de la
laïcité » et cela permettrait justement de mener sereinement
et en parallèle le combat antiraciste.
Pourtant, lorsque des
personnalités se revendiquant de la laïcité ont choisi de lancer
une initiative pour l'interdiction du voile dans les établissements
privés suite à l'affaire Babyloup, l'antiracisme a bien été
considéré comme une valeur négligeable et de manière très
concrète : lorsqu'il s'est agi de choisir cinquante
« premier(e)s signataires, destinées à mettre en valeur la
« diversité citoyenne » de l'appel , cela n'a dérangé
personne de solliciter Michèle Vianès.
Pourtant cette même
Michèle Vianès a assigné la LICRA en justice, il y a déjà
quelques temps, et la première audience s'est déroulée mardi 14
mai dernier. Le motif ? Dans un dossier sur l'extrême-droite
lyonnaise publié en 2012, la LICRA accusait Mme Viannès, présidente
de l'association Regards de Femmes, d'être « xénophobe »
et de cacher « derrière un discours anti-musulmans un
renouveau du racisme anti-arabe”.
De deux choses l'une :
ou cette accusation n'a aucun fondement, et les initiateurs et
signataires de la pétition de Marianne pourront dénoncer à juste
titre des amalgames inacceptables entre leur combat laïque et le
racisme. Ou cette accusation est vraie, et dans ce cas, en toute
connaissance de cause, les « anti-voile » légitiment les
attaques contre l'antiracisme venues de l'extrême-droite.
En réalité, en ce qui
concerne Michèle Vianès, le débat est assez vite clos.
D'abord parce que madame
Vianès est élue municipale de Debout la République à Caluire,
petite ville surnommée le « Neuilly Lyonnais », et a
également été candidate de ce mouvement aux élections européennesde 2009. Evidemment, on peut débattre du fait de savoir si Nicolas
Dupont-Aignant est plutôt « droite extrême » ou
« extrême-droite ». Mais disons que la controverse
serait un peu oiseuse et même déplacée, surtout lorsqu'il est
question de racisme et d'islamophobie : l'invité vedette de
Debout la République à la convention nationale qui s'est tenue ce
samedi 25 mai était en effet le numéro 2 de l'UKIP . Ce parti
d'extrême-droite anglais vient de faire 25% aux municipales et ses
membres appellent aux attaques physiques contre les musulmans en ce
moment même, entre deux sorties négationnistes.
Michèle Vianès est
aussi une activiste très motivée de la société civile : dès
la création de Riposte Laïque, elle s'investit à fond dans
l'association, et l'on ne compte plus ses articles sur le site des
organisateurs du célèbre Apéro Saucisson Pinard. Mme Vianès ne
s'est pas cachée non plus de sa participation côte à côte avec le
Bloc Identitaire et des membres de l'extrême-droite suisse aux
Assises contre l'Islamisation en 2010. On trouve encore sur le site
de son association la revendication assumée de cette collaboration
avec l'extrême-droite dure, lors de son intervention à un colloque
lyonnais le 30 septembre 2011.
Ce sont ces faits qui
étaient exposés dans le dossier contre l'extrême-droite lyonnaise
de la LICRA, et c'est cet exposé de son activité militante que Mme
Vianès ne veut pas voir qualifié de raciste. Si elle gagne son
procès, la jurisprudence nous concernera tous, puisque le
compagnonnage avec des organisations d'extrême-droite ne pourra plus
être dénoncé pour ce qu'il est.
Malheureusement cela ne
semble pas inquiéter les autres initiateurs et initiatrices de la
pétition Babyloup, qui, pourtant se revendiquent pour beaucoup de
l'antiracisme militant, et dont certain(e)s sont même les cibles de
Riposte Laïque ou du Bloc Identitaire.
A vrai dire, les seuls à
s'être inquiétés publiquement de cette cohabitation entre des amis
de l'extrême-droite et des gens de gauche sur cette pétition...ce
sont justement les militants d'extrême-droite. Le 28 mars 2013, une
rédactrice du site Riposte Laïque publie un appel à signer la
pétition de Marianne et « tranquillise » ses camarades :
bien sûr la pétition est signée notamment par des « laïques
de gauche », qu'il est normal de haïr, mais « toute loi
contre le voile est bonne à prendre » et surtout «Michèle
Vianes, présidente de « Regard de Femmes » est en
matière de voile du même côté que nous. C’est elle le soutien
de la première heure de Natalia Baléato. Et témoignage de son
engagement, elle bataille contre la LIcra à laquelle elle a intenté
un proçès pour avoir traité son association de
mouvement « racistes », « xénophobe »,
« révisionniste », « cachant derrière un discours
antimusulmans un renouveau du racisme anti-arabe ». ».
Voilà les fascistes
rassurés. Les antiracistes le sont moins, évidemment.
La question,en effet, est
bien celle de la constitution d'un mouvement « transcourants »,
« ni droite, ni gauche » autour de certaines thématiques
. Ce dont il s'agit c'est bien de la banalisation de l'extrême-droite
, de son intégration au sein de la gauche...et en conséquence de
l'exclusion de celles et ceux qui refusent cette intégration. Le
silence autour du procès intenté par Vianès contre la LICRA n'est
pas autre chose que cela.
Il ne s'agit pas d'une
« infiltration » bien menée, et en toute discrétion.
Comme nous l'avons vu, Michèle Vianès assume son engagement
électoral dans un parti d'ultra-droite comme elle assume sa
participation à des évènements d'extrême-droite, sur le sujet
même à propos duquel une partie de la gauche travaille avec elle :
l'islam, donc.
Cette collaboration,
malheureusement, ne date pas d'aujourd'hui : en août 2009, une
autre pétition, contre le port de la burka et du voile dans l'espacepublic est lancée par trois animateurs/animatrices de Riposte
Laïque, Pierre Cassen, Anne Zelensky, et Annie Sugier (1), cette dernière
figurant également dans les premiers signataires de la pétition
Baby Loup. Cette pétition se veut un appui à la mise en place, un
mois plus tôt d'une
mission parlementaire d’information sur « la pratique du voile
intégral sur le territoire national »
initiée
par le député communiste André Gérin. Cette pétition sera signée
par des secrétaires fédéraux du Parti socialiste, par des
syndicalistes CGT et CFDT, par des militantes féministes. Déjà ces
signataires ne sont pas dérangés d'être en compagnie d'Ivan
Rioufol et d'autres personnalités d'ultra-droite sur un appel lancé
par une association, qui à l'époque déjà ne cache pas ses
proximités à l'extrême-droite.
A
l'heure où la perplexité s'exprime dans les rangs de la gauche à
chaque fois que des militant(e)s en vue passent avec armes et bagages
au FN où dans d'autres formations d'extrême-droite, où il est de
mise de dire à chaque fois qu' « on n'avait rien vu
venir », il est peut-être urgent de s'interroger :
lorsqu'on construit soi-même les passerelles, est-il étonnant que
des gens les empruntent ?
Lorsqu'on
considère que certains sujets justifient une alliance avec l'extrême
et l'ultra-droite, est-il étonnant qu'ensuite des militant(e)s
estiment que c'est l'extrême-droite qui sera la plus à même de
combattre sur ces sujets ?
A
regarder les discours portés sur les femmes voilé(e)s et le sort à
leur réserver, à gauche et à l'extrême-droite, on fait très vite
un constat sans appel : la position de l'extrême-droite n'a
jamais varié, leur objectif étant l'interdiction du voile partout ,
comme support de l'exclusion des musulmanes de tous les secteurs de
la société. Riposte Laïque se crée ainsi en 2007 sur l'affaire
« Truchelut » du nom d'une tenancière de chambres
d'hôtes qui avait refusé ses prestations à une femme sous prétexte
qu'elle était voilée. Mme Vianès saisit, elle, et depuis longtemps, toutes les occasions pour
exclure les musulmanes de la vie publique. Ainsi en 2002, son
association déclenche sciemment une polémique concernant la
participation d'une femme voilée dans une commission
extra-municipale du Grand Lyon. A cette occasion, elle accuse les
femmes voilées dans leur ensemble d'être « complice de la
domination masculine, et donc des viols collectifs avec actes de
barbarie » et ajoute au passage une comparaison
ignoble entre le voile et l'étoile jaune , n'hésitant pas à relativiser l'antisémitisme d'Etat.
Dans
la partie de la gauche qui exige sans cesse de nouvelles mesures
contre la présence des femmes voilées, le discours ne cesse
d'évoluer et de se contredire, au fil des années : au départ,
il s'agissait « seulement » de l'école publique , de ses
professeurs et de ses élèves. Puis, l'on est passé aux parents
d'élèves et à l'extérieur de l'école, puisque ce sont les mères
accompagnatrices de sorties scolaires qui ont été visées. Ensuite,
la notion de laïcité , pourtant très clairement liée à l'Etat,
leur a semblé pouvoir être étendue aux assistantes maternelles ,
puis aux crèches privées. Et demain ?
Et
le glissement ne concerne pas seulement les lieux et les espaces
sociaux où le voile devrait être interdit. On est lentement passés
d'un discours fondé théoriquement sur la protection des femmes et
des jeunes filles, et sur le « potentiel libérateur » de
l'interdiction du voile, à une logique qui désigne clairement les
femmes voilées comme des dangers pour les autres, et notamment pour
les enfants qu'il s'agirait de « protéger ».
De
victimes passives de l'intégrisme religieux, toutes les femmes voilées
sont devenues dans les discours de gauche, des propagatrices actives
de cet intégrisme. Ce ne sont donc pas des militantEs d'ultra-droite
comme Michèle Vianès qui ont infiltré la gauche , mais bien une
partie de la gauche qui en vient à valider la vision paranoïaque et
discriminante des femmes voilées portée par l'extrême-droite
depuis très longtemps.
La
femme voilée devient ainsi l'ennemi fantasmé qui permet
manifestement l'occultation du danger réel , celui de
l'extrême-droite, dans l'esprit de militantEs de gauche qui
finissent par faire alliance avec des ennemis objectifs de la
laïcité : par exemple des compagnonnes de route du Bloc
Identitaire, comme Mme Vianès, ce Bloc Identitaire qui aujourd'hui
constitue la fraction la plus dure et la plus violente du mouvement
opposé au mariage pour tous . Ce mouvement qui entend dicter sa
loi, fondée sur la religion, à une cérémonie civile.
Et
ce mouvement a bien montré d'où venait la menace réelle contre la
laïcité : sans surprise de l'extrême-droite française et de
l'Eglise Catholique qui a mobilisé massivement une partie des
croyants. A l'inverse, si certains responsables musulmans se sont
alliés aux responsables de la Manif pour Tous, notamment ceux de
l'UOIF, mais aussi ceux de l'association Fils de France, parrainés
par Tarek Oubrou et Robert Ménard, il faut bien constater que leur
initiative n'a pas amené un nombre significatif de musulmans à se
mobiliser, et ce quelle que soit leur opinion sur le sujet. Celle-ci
est restée très majoritairement cantonnée à la sphère privée et à certains lieux de culte.
Il
y a donc bien urgence sur le front de la défense de la laïcité :
et il y aurait eu ces derniers mois mille sujets de pétition
auxquelles des personnalités connues auraient pu apporter leur
concours. Au premier chef, la défense de l'école et du secteur
public de la petite enfance, qui sont bien menacés, à forces de
coupes drastiques dans les budgets, de manque de personnel , et, ce
pendant que le secteur privé ne cesse de se développer avec des
financements publics. Le voilà, le vrai danger, le risque
fondamentaliste éventuel : la destruction de
l'école publique, qui amènera à un retour en arrière effectif, la
prise d'influence grandissante du secteur de l'enseignement privé à
dominante religieuse.
Malheureusement,
celles et ceux qui aujourd'hui pensent sincèrement défendre la
laïcité en se laissant hypnotiser par le chiffon rouge du voile
agité par l'extrême et l'ultra-droite , au point de s'allier avec
certainEs de ses représentantes, vont contribuer à l'enterrer. A la
grande joie de tous les fondamentalistes religieux, qui avec des
ennemis pareils, peuvent même se passer d'amis.
(1) Depuis Annie Sugier a quitté Riposte Laïque, non sans avoir en juin 2010 , sur son dernier article visible sur le site, applaudi l'initiative de l'Apéro Saucission Pinard menée avec le Bloc Identitaire.
Sur l'offensive de l'extrême-droite et du patronat, sous couvert de prétendue défense de la laïcité, voir aussi cet article sur la situation à la RATP
Merci pour cet article!
RépondreSupprimerA noter que les associations laïques historiques sont bien sûr contre toute nouvelle loi.
http://www.fnlp.fr/spip.php?article858
artcile qui sera republié sur RLF -isere. (en mentionnant source, bien sûr !!) Vous n'y voyez pas inconvénient ?
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