Le film de propagande de
Béatrice Pignède « Main basse sur la mémoire » n'a
malheureusement rien d'exceptionnel dans son sujet , la
promotion du négationnisme. Rien d'original non plus dans la
stratégie mise en œuvre : comme souvent, on prend prétexte
d'une critique de la loi Gayssot et des autres lois contre les
apologues des génocidaires et négateurs des génocides pour se
livrer à de la propagande fasciste et mettre en lumière quelques
leaders ou écrivains de cette mouvance.
Dans le documentaire de
Pignède, le personnage central , c'est évidemment Faurisson.
Qui sont les autres
intervenants volontaires ? Paul Ricoeur d'abord, philosophe
protestant qui en 2000 écrivit notamment un ouvrage sur la mémoire,
où certes il condamne le négationnisme mais sans vraiment préciser
ce qu'est le négationnisme et tout en se livrant à une critique
voulue radicale du témoignage et de sa valeur, notamment en ce qui
concerne les rescapés des camps. Paul Ricoeur entretenait un rapport
spécifique à la mémoire de la Seconde Guerre Mondiale, puisqu'il
ne mentionnait jamais avant que ce ne soit découvert par un autre
philosophe sa collaboration à une revue pétainiste mais aussi un
texte d'avant-guerre trouvant tout de même certains avantages au
fascisme et à Hitler.(http://sens-public.org/spip.php?article537)
Autre intervenante, une
universitaire élue au CA de sa faculté sur les listes de droite de
l'UNI mais également membre du conseil scientifique de la fondation
Respublica de Chevènement, Anne Marie le Pourhiet. Une combattante
infatigable contre les droits des minorités, dénonciatrice des
soi-disant lobbys homosexuels ou antiracistes ( lire ici une tribune
contre le mariage homo sur
Causeur).
Voilà pour les deux
stars inédites : les autres intervenants entourant Robert
Faurisson sont quant à eux des figures devenues classiques de la
mouvance rouge-brune, pro-dictateurs , antisémite et
conspirationniste : Jacob Cohen, mythomane se prétendant ancien
franc-maçon et dévoileur du grand complot des sayanim ( en gros
l'ensemble des Juifs de la diaspora presque tous agents du sionisme
sauf Jacob Cohen et quelques autres), Jean Bricmont, intellectuel
belge ayant depuis longtemps basculé dans l'antisémitisme le plus
évident, ayant récemment salué le courage de Faurisson, Annie
Lacroix Ritz, néo-stalinienne depuis toujours et réduisant la lutte
des classes à un complot de la vilaine synarchie contre les méchants
ouvriers, Finkelstein auteur de l'Industrie de l'Holocauste, et l'un
des lieutenants de Thierry Meyssan, le fondateur du Reseau Voltaire,
actuellement réfugié en Syrie et apologue d'Assad après avoir été
celui de Kadhafi.
La principale voie de
pénétration des négationnistes comme Faurisson dans la tête des
gens qui cherchent à trouver une information « alternative «
au « système » est de se faire passer pour des rebelles
persécutés par la justice et boycottés par les médias.
La manière dont ce
documentaire a été accueilli par de grands organes de presse et de
cinéma démontre absolument le contraire : à commencer par le
Figaro, qui non seulement lui consacre une élogieuse critique
spécifique mais le choisit aussi pour illustrer un autre article sur
le renouveau des documentaires.
C'est Marie Noelle
Tranchant qui écrira les deux articles : dans le premier ,
le film y est décrit comme mettant en lumière les conséquences
« néfastes » de la loi Gayssot, et une bonne manière
d' « exercer son esprit critique ». Nulle mention
n'y est faite précisément de la présence de Robert Faurisson, ni
de la couleur politique réelle de la réalisatrice, ni de sa
participation, par exemple, au festival de films négationnistes
organisé à Téhéran par le dictateur Ahmadinejad. Manifestement au
Figaro, on n'a pas trop envie d'exercer l'esprit critique des
lecteurs en leur donnant tous les éléments pour apprécier la
nature et la provenance réelle du documentaire.
Le second article
intitulé « La vogue des documentaires bat son plein »
consacre deux paragraphes sur six à Béatrice Pignède et à son
documentaire, paragraphes centraux dans le texte et mis en valeur par
un intertitre significatif « certains débats n'ont pas
lieu ». Lesquels ? Selon Pignède et la journaliste, ceux
sur Dieudonné, la Lybie...et les lois dites « mémorielles »,
évidemment. A cause de quoi ? De l'exacerbation des
communautarismes , nous dit Marie Noelle Tranchant dans une phrase
sans guillemets.
La journaliste du Figaro
reprend donc à son propre compte les pseudo-arguments de la
propagande fasciste sur la prétendue impossibilité d'aborder
certains débats. Elle ne manque pas de mentionner le « prétendu
hasard » qui fait que le documentaire sorte en même temps que
la proposition de loi contre la négation du génocide arménien.
Ceci n'est pas
spécialement étonnant au sens où la coalition politique qui s'est
mise en place contre cette loi est exactement la même que celle qui
apparaît dans le documentaire : une partie de la droite
réactionnaire, toute l'extrême-droite, et une partie de la gauche
ayant sombré depuis longtemps dans l'antisémitisme et le
conspirationnisme.
Une telle alliance contre
les victimes des génocidaires ne pouvait que porter ses fruits en
terme de banalisation du négationnisme et c'est ce qui arrive avec
ce documentaire, désormais référencé sur les bases de données du
type Allo Ciné, mais aussi sur les pages cinéma des grands
journaux, par exemple Ciné Obs.
Sur Ciné Obs, c'est
carrément la jaquette officielle fournie dans le dossier de presse
de Clap 36 qui fait figure de présentation. C'était également le
cas sur Allo Ciné avant que des protestations soient adressées au
site par plusieurs collectifs et individus. Allo Ciné a donc
neutralisé sa présentation, mais en laissant la page , en sus de
celle consacrée à Pignède.
La réponse aux critiques
qui lui ont été adressées par des internautes résume bien la
situation :
« Nous comprenons tout à
fait que les idées véhiculées par cette réalisatrice vous
heurtent. Néanmoins, Mme Béatrice Pignède a signé des films
distribués en salles. A ce titre, il n’est pas illogique ou
scandaleux que son nom figure dans notre bases de données et que
vous le retrouviez sur le site. C’est une donnée objective »
En gros, pour Allo Ciné
comme pour les autres médias, le négationnisme n'est pas un
problème en soi et donner un espace à Faurisson, un de ses
promoteurs n'est pas un souci non plus tant qu'il est mis en valeur
par des gens « respectables » : en l'occurence
Pignède est considérée comme telle puisqu'elle a été journaliste
pour Arte et pour Arrêt sur Images.
La banalisation du
négationnisme franchit donc un nouveau pas avec ce documentaire, et
les alliances qui se tissent autour de l'agression permanente des
minorités, autour des tentatives de destruction des rares
protections législatives existantes se font bien autour du pivot
fondamental constitué par la négation des génocides.
Néanmoins, désormais
défendus par le Figaro ou Allo Ciné, les négationnistes et leurs
amis auront bien du mal à se faire passer pour des rebelles
boycottés par le système .
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