lundi 27 août 2012

Quand le Figaro fait l'apologie d'un documentaire dont la star est Faurisson

Le film de propagande de Béatrice Pignède « Main basse sur la mémoire » n'a malheureusement rien d'exceptionnel dans son sujet , la promotion du négationnisme. Rien d'original non plus dans la stratégie mise en œuvre : comme souvent, on prend prétexte d'une critique de la loi Gayssot et des autres lois contre les apologues des génocidaires et négateurs des génocides pour se livrer à de la propagande fasciste et mettre en lumière quelques leaders ou écrivains de cette mouvance.

Dans le documentaire de Pignède, le personnage central , c'est évidemment Faurisson.

Qui sont les autres intervenants volontaires ? Paul Ricoeur d'abord, philosophe protestant qui en 2000 écrivit notamment un ouvrage sur la mémoire, où certes il condamne le négationnisme mais sans vraiment préciser ce qu'est le négationnisme et tout en se livrant à une critique voulue radicale du témoignage et de sa valeur, notamment en ce qui concerne les rescapés des camps. Paul Ricoeur entretenait un rapport spécifique à la mémoire de la Seconde Guerre Mondiale, puisqu'il ne mentionnait jamais avant que ce ne soit découvert par un autre philosophe sa collaboration à une revue pétainiste mais aussi un texte d'avant-guerre trouvant tout de même certains avantages au fascisme et à Hitler.(http://sens-public.org/spip.php?article537)

Autre intervenante, une universitaire élue au CA de sa faculté sur les listes de droite de l'UNI mais également membre du conseil scientifique de la fondation Respublica de Chevènement, Anne Marie le Pourhiet. Une combattante infatigable contre les droits des minorités, dénonciatrice des soi-disant lobbys homosexuels ou antiracistes ( lire ici une tribune contre le mariage homo sur Causeur).

Voilà pour les deux stars inédites : les autres intervenants entourant Robert Faurisson sont quant à eux des figures devenues classiques de la mouvance rouge-brune, pro-dictateurs , antisémite et conspirationniste : Jacob Cohen, mythomane se prétendant ancien franc-maçon et dévoileur du grand complot des sayanim ( en gros l'ensemble des Juifs de la diaspora presque tous agents du sionisme sauf Jacob Cohen et quelques autres), Jean Bricmont, intellectuel belge ayant depuis longtemps basculé dans l'antisémitisme le plus évident, ayant récemment salué le courage de Faurisson, Annie Lacroix Ritz, néo-stalinienne depuis toujours et réduisant la lutte des classes à un complot de la vilaine synarchie contre les méchants ouvriers, Finkelstein auteur de l'Industrie de l'Holocauste, et l'un des lieutenants de Thierry Meyssan, le fondateur du Reseau Voltaire, actuellement réfugié en Syrie et apologue d'Assad après avoir été celui de Kadhafi.

La principale voie de pénétration des négationnistes comme Faurisson dans la tête des gens qui cherchent à trouver une information « alternative «  au « système » est de se faire passer pour des rebelles persécutés par la justice et boycottés par les médias.

La manière dont ce documentaire a été accueilli par de grands organes de presse et de cinéma démontre absolument le contraire : à commencer par le Figaro, qui non seulement lui consacre une élogieuse critique spécifique mais le choisit aussi pour illustrer un autre article sur le renouveau des documentaires.

C'est Marie Noelle Tranchant qui écrira les deux articles : dans le premier , le film y est décrit comme mettant en lumière les conséquences « néfastes » de la loi Gayssot, et une bonne manière d' «  exercer son esprit critique ». Nulle mention n'y est faite précisément de la présence de Robert Faurisson, ni de la couleur politique réelle de la réalisatrice, ni de sa participation, par exemple, au festival de films négationnistes organisé à Téhéran par le dictateur Ahmadinejad. Manifestement au Figaro, on n'a pas trop envie d'exercer l'esprit critique des lecteurs en leur donnant tous les éléments pour apprécier la nature et la provenance réelle du documentaire.

Le second article intitulé « La vogue des documentaires bat son plein » consacre deux paragraphes sur six à Béatrice Pignède et à son documentaire, paragraphes centraux dans le texte et mis en valeur par un intertitre significatif «  certains débats n'ont pas lieu ». Lesquels ? Selon Pignède et la journaliste, ceux sur Dieudonné, la Lybie...et les lois dites « mémorielles », évidemment. A cause de quoi ? De l'exacerbation des communautarismes , nous dit Marie Noelle Tranchant dans une phrase sans guillemets.

La journaliste du Figaro reprend donc à son propre compte les pseudo-arguments de la propagande fasciste sur la prétendue impossibilité d'aborder certains débats. Elle ne manque pas de mentionner le « prétendu hasard » qui fait que le documentaire sorte en même temps que la proposition de loi contre la négation du génocide arménien.

Ceci n'est pas spécialement étonnant au sens où la coalition politique qui s'est mise en place contre cette loi est exactement la même que celle qui apparaît dans le documentaire : une partie de la droite réactionnaire, toute l'extrême-droite, et une partie de la gauche ayant sombré depuis longtemps dans l'antisémitisme et le conspirationnisme.

Une telle alliance contre les victimes des génocidaires ne pouvait que porter ses fruits en terme de banalisation du négationnisme et c'est ce qui arrive avec ce documentaire, désormais référencé sur les bases de données du type Allo Ciné, mais aussi sur les pages cinéma des grands journaux, par exemple Ciné Obs.

Sur Ciné Obs, c'est carrément la jaquette officielle fournie dans le dossier de presse de Clap 36 qui fait figure de présentation. C'était également le cas sur Allo Ciné avant que des protestations soient adressées au site par plusieurs collectifs et individus. Allo Ciné a donc neutralisé sa présentation, mais en laissant la page , en sus de celle consacrée à Pignède.

La réponse aux critiques qui lui ont été adressées par des internautes résume bien la situation :


« Nous comprenons tout à fait que les idées véhiculées par cette réalisatrice vous heurtent. Néanmoins, Mme Béatrice Pignède a signé des films distribués en salles. A ce titre, il n’est pas illogique ou scandaleux que son nom figure dans notre bases de données et que vous le retrouviez sur le site. C’est une donnée objective »

En gros, pour Allo Ciné comme pour les autres médias, le négationnisme n'est pas un problème en soi et donner un espace à Faurisson, un de ses promoteurs n'est pas un souci non plus tant qu'il est mis en valeur par des gens « respectables » : en l'occurence Pignède est considérée comme telle puisqu'elle a été journaliste pour Arte et pour Arrêt sur Images.

La banalisation du négationnisme franchit donc un nouveau pas avec ce documentaire, et les alliances qui se tissent autour de l'agression permanente des minorités, autour des tentatives de destruction des rares protections législatives existantes se font bien autour du pivot fondamental constitué par la négation des génocides.

Néanmoins, désormais défendus par le Figaro ou Allo Ciné, les négationnistes et leurs amis auront bien du mal à se faire passer pour des rebelles boycottés par le système .

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