Le
nouveau « spectacle » de Dieudonné est un succès :
des milliers de personnes se pressent aux « représentations »
de Fox Trot, qui toutes, se tiennent dans de grandes salles , souvent
les principales des villes où il se déplace. Presque aucun maire ou
préfet ne se hasarde plus à l'interdire, et certains écrivent même
respectueusement aux collectifs qui l'ont soutenu, comme à Bordeaux.
A
en croire les journalistes, qui reprennent la légende élaborée par
le politicien fasciste lui-même, ce succès interviendrait après
des années de « censure », et serait due uniquement à
une mobilisation de bric et de broc de ses fans , notamment sur les
réseaux sociaux. Le « paria ruiné » tiendrait sa
revanche grâce à sa détermination et à l'auto-organisation de ses
troupes.
Et
si au contraire, le succès actuel de Dieudonné, l'explosion de son
audience s'inscrivait dans le cadre global de la percée de
l'extrême-droite sur tous les fronts, due au soutien d'une partie
de la bourgeoisie, et au ralliement au néo-fascisme de forces
politiques bien installées se revendiquant autrefois du
progressisme ?
Avec
l'affaire Cahuzac, d'aucuns ont découvert que les groupes
d'extrême-droite comme le GUD étaient également composés d'hommes
d'affaire bien installés, et que ces hommes d'affaire bien installés
étaient également des proches non seulement de Marine Le Pen, mais
aussi de toute cette mouvance qui gravite autour du FN ET de
Dieudonné: Philippe Peninque, avocat de Cahuzac, et conseiller de
Madame Le Pen est également un des fondateurs de l'association
d'Alain Soral, Egalité et Réconciliation.
Dieudonné
n'est pas plus mal entouré et a su lui aussi trouver des relais
influents dans le domaine qui est le sien, l'antisémitisme érigé
en attraction comique.
Ainsi,
avoir plein d'amis Facebook, c'est bien sûr très utile pour se
faire de la publicité quand on est un artiste : mais avoir une
productrice de taille, c'est encore mieux.
Celle
de Dieudonné s'est beaucoup répandue dans les médias à propos de
son dernier spectacle, médias avec qui elle semble avoir de très
bons rapports au regard de l'espace qu'on lui laisse pour s'y
exprimer, tant à la radio que dans les journaux à chaque fois que
Dieudonné va donner une réprésentation. C'est normal car Chrystel
Camus n'est pas une obscure intermittente du spectacle : sa
boite de production s'occupe par exemple des spectacles de Philippe
Candeloro, et sur son Facebook, on la croise en compagnie de
personnages médiatiques pas exactement subversifs, Danielle Evenou
ou Jean-Pierre Castaldi par exemple.
S'il
n'est pas dans notre propos de faire des amalgames familiaux et si
l'on n'est pas obligé de suivre les traces de ses parents ou
inversement de partager les convictions de ses enfants, en matière
professionnelle, la reproduction sociale est un phénomène
sociologique indéniable : or Chrystel Camus est la fille de
Jean-Claude Camus, un des plus gros producteurs français, qui géra
la carrière de Johnny, de Sardou, et autres stars de la variété
française , liste sur Wikipedia.
L'hypothèse
selon laquelle sa fille bénéficierait en conséquence d'un réseau
de connaissances important aussi bien au niveau des salles de
spectacles , des artistes ,que des médias n'est donc pas
spécialement tirée par les cheveux. Et ce d'autant plus qu'il y a
au moins un exemple récent dans les « nouveaux amis »
affichés par Dieudonné, qui semble confirmer l'importance des
relations familiales de sa productrice.
Il
y a quelques semaines en effet , une photo initialement publiée sur
le mur de Dieudonné fait le tour des sites d'extrême-droite :
on y voit le politicien antisémite poser avec Yannick Noah au
théâtre de la Main d'Or, dans une posture qui laisse entendre à la fois une
très grande convivialité et une connivence politique, puisque Noah y a comme Dieudonné l'index levé en l'air , allusion au "fameux" "Au dessus c'est le soleil" du politicien antisémite. Evidemment, ceci peut tout à fait
signifier un ralliement politique , pesé et assumé de l'ex-champion
de tennis. Il n'en reste pas moins que les deux hommes ont pu en tout
cas faire connaissance parce qu'Isabelle Camus , la compagne de
Yannick Noah est également la sœur de la productrice de Dieudonné.
Chronique
people que tout cela ? Oui, sans doute, mais la chronique people
n'est après tout que la traduction d'une réalité de classe, celle
du milieu de la production culturelle capitaliste de masse.
Objectivement,
Dieudonné le « proscrit » est produit par une entreprise
influente et en pointe dans ce secteur de la production, dont la
dirigeante a tous les réseaux nécessaires pour faire en sorte que
le politicien fasciste ait accès aux mêmes salles et à la même
pub que n'importe quel artiste de variété. Objectivement Dieudonné
n'est donc pas plus un rebelle ou un self made man que Michel Sardou
ou Philippe Candeloro.
Cela
ne l'empêchera pas de se présenter comme tel, puisque le
retournement victimaire est un argument clef des fascistes :
mais les faits sont là, aujourd'hui la haine antisémite et raciste
est promue par le circuit capitaliste habituel du milieu artistique,
culturel et médiatique.
Et
qui veut s'y opposer s'expose à le payer cher : la productrice
de Dieudonné brandit en effet sans arrêt la menace d'une nouvelle
condamnation , comme celle dont avait écopé la ville de La
Rochelle, astreinte à verser 40 000 euros au politicien.
Certes
cette nouvelle production est un pas supplémentaire franchi par
Dieudonné. Mais il ne faudrait pas y voir la rupture d'une digue
antifasciste existant dans le monde des médias et de la culture à
son encontre. En réalité, malgré la virulence de ses déclarations
antisémites et racistes, malgré son alliance sans ambiguités avec
l'extrême-droite la plus radicale, Dieudonné a certes subi quelques
revers mais n'a jamais été « boycotté par le système ».
Sans
quoi, il n'aurait pas pu faire monter Faurisson sur une des plus
prestigieuses scènes parisiennes, le Zénith en 2008. Et si
certaines municipalités s'opposent à sa venue dans leur ville après
cet épisode qui le classe tout de même chez les amis du néo-nazisme
franc et ouvert, beaucoup d'autres laissent ses spectacles se
dérouler.
De
plus, prétendre que Dieudonné a été boycotté médiatiquement de
manière massive et systématique , c'est avoir une bien étrange
conception du boycott. Jusqu'en 2009, ses promoteurs habituels de
Canal Plus, et notamment les animateurs de Groland relaient
volontiers ses « sketches ».
En
cette même année 2009, sa liste aux Europénnes bénéficie d'un
relais médiatique considérable que des formations politiques plus
importantes n'auront pas. En 2010, lorsqu'il sort un bouquin avec
Bruno Gaccio, il participe à de nombreuses émissions. En bref,
Dieudonné a accès aux médias à chaque fois qu'il a une actualité
tout simplement.
Nul
doute que sa nouvelle productrice, ajoutée à l'offensive de
journalistes comme Taddéi ou Schneiderman qui accusent tous ceux qui
ne l'invitent pas d'avoir eux même une mentalité dictatoriale
augurent cependant d'une nouvelle ère : celle de la
banalisation totale de Dieudonné et de sa promotion active et
massive par les médias.
Cette
banalisation médiatique se double d'une banalisation politique, et
celle-ci est également le fait de personnalités et d'associations
ayant pignon sur rue.
La
plus significative d'entre elle est la Fondation du Mémorial pour la
traite des Noirs. Celle-ci s'est faite remarquer récemment par un
fracassant communiqué de soutien à Dieudonné : des
associations antiracistes dont la LICRA se mobilisaient pour faire
interdire le spectacle du politicien antisémite à Bordeaux, en
vain. C'est le moment que choisit la Fondation pour décréter que
cette mobilisation est une atteinte insupportable à la liberté
d'expression et surtout pour reprendre l'éternel argument du «
deux poids, deux mesures ». Pour Karfa Diallo, président de
l'association, la mémoire de l'esclavage n'est pas assez prise en
compte , à Bordeaux, des rues portant des noms d'esclavagistes ne
sont toujours pas débaptisées.....et ceci justifierait donc qu'on
bafoue la mémoire de la Shoah, par souci d'égalité, en quelque
sorte. Puisque le racisme existe, banalisons l'antisémitisme, voilà
la thèse de la Fondation, un copié collé de celles de Dieudonné,
grotesque et ignoble nivellement par le bas.
Par
le bas du bas, même, car Dieudonné qui s'affiche avec les racistes
du FN ou du GUD, n'a absolument jamais rien fait pour la mémoire de
l'esclavage, à part travestir l'Histoire et tenter de dédouaner les
véritables responsables de la traite, en inventant de toutes pièces
un contrôle de cette traite par les Juifs. Il s'est écoulé dix ans
depuis les premières déclarations ouvertement antisémites de
Dieudonné et l'affirmation de cette thèse : depuis Dieudonné
a fait deux films, plusieurs spectacles, d'innombrables vidéos, il a
promu à la Main d'Or nombre de personnages d'extrême-droite ou des
milieux sectaires, présenté une liste aux élections. Les moyens ne
lui manquent donc pas : pourtant, à aucun moment dans toutes
ces années d'intense activité, il n'a fait quoi que ce soit sur la
mémoire de l'esclavage, ce sujet qui lui tenait soit-disant tant à
cœur.
Alors
que signifie le ralliement de La Fondation pour le Mémorial de la
Traite des Noirs ? Pour le comprendre, il faut aller
s'intéresser à son président Karfa Diallo et à ce qu'a été son
activité depuis le début des années 2000.
L'homme
en effet n'a pas toujours été aussi critique envers les autorités
que dans ce communiqué de soutien à Dieudonné. Au contraire, son
action s'est toujours inscrite dans un cadre plutôt institutionnel
et c'est ainsi qu'en 2005, il accepte d'entrer dans une instance crée
par la Mairie d'Alain Juppé : Le Comité pour la Réflexion sur la Traite des Noirs. Cette instance, clairement , est une réponse à
la lutte des associations pour faire reconnaître l'esclavage et ses
responsables, mais c'est aussi une tentative de récupération et de
de détournement institutionnel, et qui va très vite s'orienter vers
une euphémisation du problème , une absence de désignation claire
de l'ensemble des responsabiltés, et surtout une forme de
retournement victimaire.
Le
président choisi pour présider ce « comité d'experts »
est en effet Denis Tilinac : en cette année 2005 où le
Ministre de l'Intérieur s'appelle Nicolas Sarkozy et impose la
répression et le racisme sur tout le territoire, en décrétant
notamment l'état d'urgence comme pendant la guerre d'Algérie, Karfa
Diallo, défenseur de la minorité noire n'hésite pas à s'associer
à un journaliste de la droite dure, qui sera un des premiers
supporters de Sarkozy. Un de ces supporters, qui d'ailleurs ne l'on
pas attendu pour franchir aisément la ligne idélogique entre droite
extrême et extrême-droite. Tilinac, outre qu'il est journaliste à
Valeurs Actuelles, est en effet un des pourfendeurs médiatiques les
plus connus de la soit-disant « tyrannie des minorités »
et un des propagateurs de la notion de « repentance »,
visant à discréditer , à empêcher , ou au moins à limiter toute
reconnaissance institutionnelle des crimes commis par l'Etat Français
et par la France , qu'il s'agisse de l'esclavage , de la colonisation ou du rôle réel joué par les autorités de Vichy dans le génocide
des Juifs.
Karfa
Diallo, l'homme qui aujourd'hui fait porter aux associations
antiracistes comme la LICRA la responsabilité de l'insuffisante
reconnaissance institutionnelle de l'esclavage était donc moins
regardant en 2005, quand on lui proposa cette participation à ce
comité avec un personnage tel que Tilinac.
Et
à lire le mémoire qui en est sorti, cautionné par ce même Karfa
Diallo, on se rend vite compte que c'est bien la ligne Tilinac qui a
triomphé. La tournure générale se résume bien dans le paragraphe
reproduit ci-dessous : mise en accusation immédiate du travail
de mémoire, jugé d'entrée susceptible d'être motivé par
l'agressivité envers les « Bordelais de souche »,
limitation nécessaire de son champ d'investigation, et évocation du
prétendu danger de la « repentance ».
«
Comment faire en sorte que ce « travail »
soit fructueux, et pérennise la mémoire
de faits
déplorables sans culpabiliser les Bordelais de souche autochtone ou
européenne ?
Car,
de toute évidence, si la revendication mémorielle prenait un tour
agressif, elle provoquerait immanquablement des crispations
identitaires et de la xénophobie. Surtout en une période où le
peuple français est très divisé sur l’opportunité des diverses
« repentances » que le système médiatique semble lui imposer.
Toute initiative mémorielle qui s’affranchirait de cette visée,
ou qui la dévoierait en récrimination sectaire, se condamnerait à
l’insignifiance. Pire : elle alimenterait les ressorts de la
suspicion et de l’agressivité. »
A
la finale évidemment, le rapport ne propose pas grand-chose :
normal, dès son introduction, la traite des Noirs par les Européens
est banalisée, par un rappel de l' "éternité de
l'esclavage", pratiqué par quasiment toutes les
civilisations, encore existant aujourd'hui...D'entrée, donc, la
spécificité de la traite des Noirs est évacuée, circonscrite à
une banalité de l'histoire de l'humanité.
Dans
la suite du rapport, si les rares voix protestataires au sein de
l'Eglise sont mises en avant, par contre la légitimation idéologique
apportée par la hiérarchie catholique et ses intérêts concrets
dans la traite sont totalement évacués. Sur ce point aussi, Karfa Diallo a tout pour s'entendre avec Dieudonné, l'homme qui a fait baptiser sa fille par un prêtre intégriste, raciste et anti-immigration.
Voilà
ce que cautionnait Karfa Diallo en 2005 : à la page 23 du
rapport, on voit aussi écartée la proposition de signaler par un
visuel , les noms de rues baptisées avec celui d'un responsable de
la traite.....Ainsi donc en 2013, Karfa Diallo reproche à toute la
terre l'abandon de la revendication concernant le changement de nom
des rues concernées, et surtout en tire la raison de son soutien à
Dieudonné,...alors que lui-même cautionnait une instance qui
préconisait l'abandon de cette revendication en 2005.
En
2008, le même Karfa Diallo en rajoute une louche dans le compliment
aux autorités municipales de Bordeaux, dans un entretien au journal Sud Ouest, où il annonce l'arrêt de son combat collectif contre
l'esclavage : « Aujourd'hui, je
pense que la ville de Bordeaux a fait le maximum de ce qu'elle peut
accepter de faire pour la mémoire », " On a sans doute
manqué de sagesse… Par exemple, je crois que la campagne pour
débaptiser les « rues de négrier », cela ne pouvait pas passer à
Bordeaux ". Une auto-critique qui résonne bien étrangement cinq ans
plus tard, quand le même Karfa Diallo rend responsable des
associations antiracistes de son propre renoncement à une
revendication ancienne.
Il
y a donc finalement une parenté dans la reconstruction de l'histoire
faite par Diallo avec la rhétorique de Dieudonné : leurs
propres renoncements à certains combats sont rejetés sur d'autres,
dans une logique conspirationniste fondée sur une prétendue
concurrence des mémoires qui aboutit très logiquement à
l'antisémitisme.
Sans
doute ces deux là étaient-ils faits pour se rencontrer.
Il
n'en reste pas moins que c'est une bonne prise pour la mouvance de
Dieudonné : Karfa Diallo est aujourd'hui animateur d'un grand
média web sénégalais « Seneweb », où il donne
notamment la parole à Tidiaye Ndiaye, un économiste de formation
dont le combat essentiel aujourd'hui est de prétendre que la traite
occidentale a été « surestimée » volontairement
comparativement à la traite arabo-musulmane, une thèse défendue
aussi par une bonne partie de l'extrême-droite française.
Au
delà, les « compromis » de Diallo avec les autorités
municipales de Bordeaux et plus largement en ont fait une voix
médiatique prétendument « représentative » de la
« communauté noire »...un peu comme Tarek Oubrou, l'imam
de Bordeaux est aujourd'hui considéré comme la voix respectable des
musulmans de France. Et Tarek Oubrou faisait aussi partie du "comité
Tilinac" avec Karfa Diallo , et s'est lié avec Alain Soral dès 2009,
avant de fonder l'association Fils de France , à la fois proche
d'Egalité et Réconciliation et appréciée de Robert Mesnard, qui
collabore aujourd'hui à Boulevard Voltaire avec Tilinac.
Nouveaux
amis, nouvelle production, et des pas de géant accomplis par
Dieudonné...qui pourra cependant difficilement continuer à
prétendre représenter un quelconque antagonisme avec le système
médiatique capitaliste, comme avec le milieu politico-associatif
reconnu par les institutions. Bien au contraire, son antisémitisme
forcené est devenu une marchandise de choix, qui rapporte gros
financièrement parlant, et apparaît aussi comme un levier politique
à des personnalités en quête perpétuelle de notoriété et de
reconnaissance institutionnelle, tel Karfa Diallo se félicitant
d'avoir été reçu par le préfet , non pas dans le cadre d'une
quelconque activité antiraciste utile à ceux qu'il prétend
représenter, mais pour avoir soutenu un homme d'extrême-droite.
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