Le propos de Michel
Collon est classique, classique d'une certaine extrême-droite, qui
s'est illustrée ces dernières années dans la défense des
dictatures ou le soutien à la liberté d'expression des
négationnistes, sous couvert de rébellion contre « la pensée
unique » ou d' « anti-impérialisme ». Collon
s'auto-proclame journaliste, mais a surtout joué ces derniers temps
les supplétifs des propagandistes du régime d'Assad ou de Kadhafi.
On l'a trouvé dans des manifs prétendûment anti-guerre, aux côtés de négationnistes notoires comme les membres de l'association Entre La
Plume et l'Enclume.
Evidemment nous avons été
quelques-uns à tomber des nues et à chercher pendant plusieurs
semaines comment la promotion d'un auteur tel que Collon avait pu se
retrouver dans un journal syndical diffusé à des dizaines de
milliers d'exemplaires.
La réponse est venue
dans un compte-rendu de la dernière Commission exécutive de la Fédé
en question, où l'on trouve l'intervention suivante de Christian
Mathorel, responsable CGT à France Telecom, intervention qui n'a
manifestement donné lieu à aucune réaction.
« Sur la guerre
au Mali, je partage ce qui a été dit et je pense que l’on a
besoin d’un éclairage pour nous et pour les salariés sur la
réalité de la situation.
Il y a par exemple un
livre que l’on a proposé dans le journal fédéral du mois dernier
qu’il faut absolument que vous lisiez et qui peut aider à
comprendre ce qui se passe. C’est « la stratégie du chaos » de
Michel Collon (qui anime également un site internet très instructif
« investig action ») et qui explique toute l’histoire et
l’actualité de l’impérialisme, sa stratégie et sa logique au
moyen Orient et en Afrique, le renforcement des tensions et des
enjeux avec l’arrivée dans le jeu des acteurs (USA, France, Grande
Bretagne) de La Chine….. Je pense qu’il faut lire ce livre qui
commence d’ailleurs par : « Ce n’est pas à la télé que vous
aurez les vrais informations qui vous permettrons de vous faire votre
propre idée sur ce qui se passe réellement au Moyen Orient et en
Afrique ».
Si la promotion du livre
de Collon dans le journal de la Fédération est sans doute l’initiative
donnant le plus large écho à un « homme passerelle »
entre l’extrême-gauche et l’extrême-droite, la CGT en a connu
d’autres. Pierre Cassen, fondateur de Riposte Laïque
était ainsi syndiqué de la Filpac, la Fédération du livre, jusqu’à
son exclusion en juin 2011, soit plusieurs années après la
dérive fasciste de Riposte Laïque, et même plus d'un an après sa
participation officielle à l'Apéro Saucisson Pinard avec des
organisations violentes d'extrême-droite comme le Bloc Identitaire.
La réaction de la
direction de la CGT à l'époque aura été si lente que Pierre
Cassen, aura pu, en janvier 2011, en mettant en avant son propre
statut de militant de la CGT, donner la parole à Fabien Engelmann,
secrétaire d'un syndicat d'employés de la fonction publique
territoriale, candidat du FN et finalement exclu par sa fédération
syndicale.
Faudra-t-il attendre que
les militants diffusant la propagande de Collon au sein de leur
syndicat s'affilient nommément à un parti fasciste pour que la CGT
réagisse ? Faire la promotion d'un auteur qui défend
Dieudonné, qui a participé avec des fascistes notoires comme
Meyssan à l'Axis for Peace, qui a co-signé un livre (Israël ,
parlons-en) avec le biographe hagiographe de Faurisson , Paul-Eric
Blanrue ne suffit-il pas ?
En tout cas, Christian
Mathoret, figure médiatisée de la CGT du secteur Telecoms et
candidat à la commission exécutive confédérale au prochain
congrès de Toulouse, n'est pas le premier à mettre Michel Collon en
avant.
On trouve des liens vers
le blog de Michel Collon sur le site de l’Union syndicale de
l’intérim, celui de l’UL de Tourcoing. Plusieurs UL du Pas de
Calais invitaient fin 2011 à une conférence de Michel Collon à
Isbergues, on trouve des reprises de texte de Michel Collon sur le
site du syndicat CGT de l’Hôpital de Vienne ou de la CGT Randstad…
On trouve des militants
CGT partageant ouvertement les positions de Michel Collon, c’est
par exemple le cas de Jacques Lacaze, secrétaire de l’UL de
Liévin, ex PCF et PRCF
(http://jacques.tourtaux.over-blog.com.over-blog.com/article-jacques-lacaze-secretaire-de-l-union-locale-cgt-de-lievin-62-se-desolidarise-et-condamne-la-decla-99110190.html)
Comment est-il possible
que dans une confédération comme la CGT le journal officiel d’une
fédération ou le site internet d’une union locale fasse la pub de
ce type d’ouvrages ?
Poser cette question
revient à s’interroger sur les pratiques syndicales et les
analyses qui les sous-tendent. Nul doute que des salariés, et parmi
eux de nombreux syndiqués, trouveront matière à travailler aux
réponses de manière plus précise et concrète.
Cela dit, nous pouvons
risquer quelques pistes, sans nier la complexité des racines d’un
tel phénomène ou l’existence de plusieurs niveaux ou réseaux
d’explications.
Il y a d'abord la manière dont
fonctionne la CGT et nombre de ses structures.
Les décisions et
informations restent très centralisées, en particulier dans les
structures fédérales. Comme cette centralisation alourdit la charge
de travail des dirigeants syndicaux, il y a une tendance à faire
confiance sur certaines questions et tâches, souvent jugées moins
importantes, à des militants sans forcément en savoir très long
sur leurs convictions réelles, leurs pratiques, leurs engagements.
Idem sur les candidatures à de hautes responsabilités : les
délégués votent dans la majeure partie des cas pour des camarades
dont ils ne connaissent rien ou pas grand-chose. On peut donc tomber
sur le meilleur comme sur le pire.
Les sites d’une union
locale ou d’un syndicat ou sa page facebook d’ailleurs sont
souvent animés par une seule personne, et personne d’autre n’a
le temps ou ne voit l’importance d’une réflexion collective sur
le contenu…
Bref, quelques militants
bien formés et organisés en réseau n'auront guère de difficultés
à imposer leurs thématiques et à faire la promotion d'une tendance
politique ou d'une autre, surtout lorsqu'il s'agit du champ
para-syndical, des questions sociétales ou internationales, que le
salarié investi à fond sur les luttes de classe n'aura pas le temps
de creuser. Et aujourd'hui, avec la montée en puissance d'une
mouvance politique rouge-brune, il n'est au fond pas étonnant qu'une
offensive de leur part touche la CGT.
Pourquoi ce discours
rouge-brun passe ? On peut trouver des éléments de réponse
dans la manière dont le fascisme est appréhendé par la CGT. Il est
indéniable que la volonté existe de combattre l’extrême-droite,
le racisme, les discriminations…
Mais les impulsions
données sont souvent très vagues, peu concrètes. Et autant la
lutte contre le racisme, le sexisme et l’homophobie existe, du
moins pour l’affichage de façade confédéral, autant la CGT est
relativement muette sur l’antisémitisme, et peut publier dans son
bimensuel un article sur Auschwitz sans écrire une seule fois les
mots « Juifs » ou « antisémitisme »…
Sur l’histoire et la
mémoire, du travail est fait, en particulier dans les instituts
d’histoire sociale, mais les périodes peu glorieuses de la CGT ont
tendance à ne pas être creusées. On met en avant la partie de la
direction confédérale qui a résisté sous le régime de Vichy et
l’Occupation, mais on se pose nettement moins la question de savoir
comment un dirigeant CGT de premier plan est devenu Ministre du
Travail de Pétain . On informe sur le 17 octobre 1961 ces
dernières années (ce qui est une bonne chose), mais en passant plus
que vite sur la faiblesse des réactions syndicales au lendemain de
l’évènement.
On trouve des
responsables syndicaux démunis face à des militants faisant part
d’opinions racistes, nationalistes, xénophobes ou antisémites…
Ce n’est pas une généralité, ça dépend vraiment « sur
qui on tombe », et de nombreux militants combattent au
quotidien les manifestations du phénomène, mais souvent
individuellement, sans vision d’ensemble ou sans pouvoir en
débattre collectivement dans leurs structures.
La formation politique,
autrefois bien souvent assurée, avec tous les défauts qu’on peut
y trouver, par le PCF, est largement insuffisante aujourd’hui, pour
ne pas dire parfois inexistante (manque de temps ou de moyens d’un
côté, volonté de contrôle des bureaucraties à qui ça
convient…). En conséquence, nombre d’infos et de débats
n’atteignent pas l’ensemble des syndiqués ni mêmes des
syndicats ou sections syndicales.
Par ailleurs, la
réflexion confédérale de la CGT (et la plupart des syndicats ne
sont pas allés plus loin non plus) n’a porté que sur le FN, au
moment de l’affaire Engelmann ou au moment d’élections
politiques.
L’exclusion du leader
de Riposte Laique est restée confidentielle et n’a été rendue
publique par son syndicat qu’un an après, parce que Cassen se
vantait (comme un syndicaliste de FO également militant de Riposte
Laïque) d’avoir claqué la porte de lui-même.
Et sur l’affaire
Engelmann, l’analyse courante, c’est de voir ça comme un
« noyautage » par le FN, donc comme la stratégie
d’éléments extérieurs au syndicalisme, quant il s’agit au
contraire du glissement de syndicalistes vers l’extrême-droite,
glissement facilité par le nationalisme économique que portent une
partie des dirigeants CGT (et de l’extrême-gauche en général) et
par des visions et pratiques syndicales fréquemment en décalage
avec les réalités sociales et économiques des dernières
décennies.
Il existe donc des
syndiqués de base tout comme des dirigeants qui adhèrent à des
thèses d’extrême-droite. On le dit peu mais il n’y a pas que la
section syndicale de Fabien Engelmann qui penchait ou penche toujours
pour le FN.
De plus, il ne suffit
pas d'afficher son opposition au FN ou aux fascistes en général,
encore faut-il aussi combattre les idées de cette extrême-droite
MEME quand elles n'émanent pas de ce qui est déjà étiqueté
extrême-droite officielle.
Car des militants comme
Collon savent bien utiliser les failles du corpus idéologique de la
gauche et de l'extrême-gauche.
Malheureusement, il
suffit souvent de mettre en avant quelques concepts bien vus et
jamais questionnés pour faire passer la pire propagande fasciste.
Ainsi, il suffit d'en
appeler à l' « anti-impérialisme » et à la
lutte « contre les guerres occidentales », pour
faire passer un appel à une manifestation où seront présents les
soutiens des dictatures et des négationnistes. Or
l'anti-impérialisme en France, depuis des années n'est le plus souvent que l'autre
nom du soutien aux pires régimes autoritaires.
Ainsi, il suffit de taper
sur Israel et de se déclarer « antisioniste » pour avoir
un succès fou chez les lecteurs de gauche avec un bouquin où l'on a
va entre autres donner de la place à un Paul Eric Blanrue,
hagiographe du négationniste Faurisson et par ailleurs lié à
l'extrême-droite depuis sa prime jeunesse.Or l' « antisionisme »
en France depuis des années n'est que l'autre nom de
l'antisémitisme, utilisé par des tendances politiques qui n'ont
jamais aucun problème avec les autres nationalismes, bien au
contraire
Ainsi il n'est pas très
compliqué de faire passer les pires discours nationalistes et
chauvins sous couvert de la défense de « nos » emplois
et de « nos » entreprises face à la vilaine
mondialisation.
Ainsi, le corporatisme,
au sens d’identité des intérêts du patronat et des salariés, se
fraye un chemin au travers du discours sur les petites entreprises,
où le patron « travaillerait » autant que ses employés
et serait lui aussi victime des grosses entreprises.
L’égalité est une
valeur progressiste de base, on le voit a contrario à la vigueur des
mobilisations réactionnaires ou fascistes contre le mariage pour
tous ou le droit de vote des étrangers. Mais l'égalité et la
solidarité de classe sont une bataille exigeante au quotidien, et
elle n’est pas toujours menée : des syndicats refusent
l’adhésion de sous-traitants ou ignorent les précaires présents
en nombre conséquent, depuis des années et de manière permanente
dans l’entreprise. Les "blagues" ou lieux communs à fond raciste,
antisémite, sexiste ou homophobe sont loin d’être relevés
systématiquement.
Trop souvent, l'activité
syndicale se résume à deux champs complètement séparés :
d'un côté la défense des droits au quotidien, et l'activité de
lutte de classe qui absorbe évidemment le temps et l'énergie de
beaucoup de militants. De l'autre côté, l'activité
d' « élargissement » sur des questions de fond plus globales, qui
se résume bien souvent au vote de motions de « soutien »
à telle ou telle position politique sur tel ou tel sujet
d'actualité, à l'investissement dans une publication syndicale ou
dans telle association dépendant de l’organisation syndicale.
Bien souvent, ces
activités là sont squattées par des militants politiques dont
l'investissement dans la CGT est avant tout conçu comme un moyen
d'influencer le syndicat dans le sens des positions spécifiques de
leurs organisations. Ils utilisent tous les outils possibles à cet
effet (sites internet, journaux, listes mails), puisqu'ils ont le
temps de le faire, ces militants étant rarement investis en même
temps sur le champ des luttes dans sa boite ou son quartier.
Les militants du PRCF et
de toutes les autres petites boutiques par ailleurs liées aux
fascistes comme Collon ou Jean Bricmont sont bien dans cette logique
mûrie et réfléchie depuis de longues années. Ils savent au mieux
profiter des moyens de la CGT.
Mais leur exclusion,
nécessaire si l'on a un minimum de cohérence politique, ne suffira
pas à régler le problème.
A un moment donné, c'est
à chaque syndicaliste, à chaque structure de base de comprendre que
des luttes comme l'antifascisme ou la solidarité internationale,
sont des points d’appui très forts pour aller vers cette
« transformation sociale » que revendique officiellement
la CGT.
Mais l’antifascisme et
la solidarité internationale ne se font pas, dans le syndicat, par
des déclarations de principe, mais par des actions concrètes et des
discours clairs qui permettent à chacun de se saisir des enjeux et
qui n’offrent pas de prise aux idées fascistes.
Ainsi sur le Mali, rien
n'interdit aux syndicats qui se sentent concernés d'agir
concrètement notamment en soutenant la lutte des travailleurs sans
papiers présents ici, en relayant les mouvements sociaux
importants de ces derniers mois, notamment dans l'enseignement, ou en lançant des campagnes de pressions sur nos gouvernements pour obtenir que des fonds soient enfin débloqués pour faire barrage à la famine qui ravage le Sahel aussi gravement que les groupes intégristes.
Une dernière chose :
nous savons d'emblée que des camarades nous reprocheront à la fois
d'avoir mis ce débat sur la place publique et de rester anonymes.
Sur le premier point, les
affaires Cassen et Engelmann et la manière dont elles ont été
traitées nous a suffisamment instruits : nous savons bien qu'en
vertu d'une certaine culture du consensus, jointe à la peur de
« créer du conflit et d'affaiblir nos structures alors qu'il y
a des priorités », la passivité reste malheureusement de
rigueur tant qu'il n'y a pas le feu au lac, c'est à dire tant que
les débats ne sortent pas du niveau interne.
Sur le second point,
malheureusement, nous sommes aussi très réalistes sur le rapport de
forces entre nous et la tendance rouge-brune au sein de la CGT :
nous savons que nous nous attaquons à des militants organisés, avec
des moyens de nuisance nombreux et bien installés dans la structure
syndicale. Nous savons aussi que ces militants se moquent éperdument
de la lutte des classes, du quotidien syndical et seront prêts à
tout mettre en œuvre pour écraser les salariés syndiqués qui se
mettent en face d'eux, sans évidemment tenir aucun compte de
l'importance de leur activité de lutte quotidienne. Or nous ne
sommes « que » cela, des militants syndicaux ayant fait
le choix de rester des salariés comme les autres.
La CGT n’hésite pas à
revendiquer les responsabilités particulières que lui confère sa
place de 1ère organisation syndicale. Nous verrons comment elle les
assume face à la montée de l’extrême-droite et à la
contamination et la propagande en son sein d'idéologies fascistes.
Des salariés syndiqués CGT
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