Selon l'immense majorité des
commentateurs médiatiques, il y aurait un "nouvel "
antisémitisme, pas du tout français , issu de l'islam des "caves
et des banlieues", et qui n'aurait rien à voir avec
l'antisémitisme traditionnel et ses réseaux d'extrême-droite.
Ceux qui affirment l'existence de ce
« nouvel » antisémitisme le caractérisent selon deux
critères : ce serait un antisémitisme issu des quartiers
pauvres, d'une part, quartiers où s'exercerait d'autre part une
influence « étrangère », matérialisée par les prêches
d'imams radicaux de pays tiers et par la présence sur notre
territoire de « salafistes » venus d'ailleurs.
Un fascisme du pauvre et de l'immigré
en quelque sorte, que nos commentateurs prennent plaisir à opposer à
la nécessaire construction d'un « islam de France »,
seul à même de rendre la raison à des jeunes barbares venus
d'ailleurs.
« Fils de France », c'est
justement le nom d'une association se disant musulmane, montée il y
a quelques mois, et qui , au regard de sa récente création ,
bénéficie d'un succès étourdissant, puisque son dernier colloque
a été accueilli sous les ors du Sénat le 27 octobre.
Son fondateur Tarek Oubrou , imam de
Bordeaux est devenu en quelques années une personne tout à fait
bien accueillie dans tous les milieux : invité d'honneur de
conférences données par des évèques, devenu très proche d'Alain
Juppé, qui l'oppose aux vilains « salafistes »,
fréquemment invité à la télé, il fait partie de ces dignitaires
religieux qu'on se plait à ériger en symboles de l'ouverture et de
la tolérance, opposés aux « petites frappes islamistes de
banlieue ».
Oubrou fut pourtant le premier imam à
participer à une conférence co-organisée avec Alain Soral en 2009.
Personne, même parmi les grands connaisseurs de l'islam invités
dans les médias, tel Malek Chebel également participant au colloque
qui fait l'objet de cet article, ne semble avoir lu une intéressante et récente interwiew d'Oubrou sur Garaudy, négationniste notoire,
où celui-ci est qualifié de « grand intellectuel » ,
qui « recevra son mérite devant le Seigneur ». Oubrou,
fin sophiste , y réfute tout négationnisme pour son compte
personnel, mais affirme dans cet entretien que « toute
discussion sur le sujet de la Shoah, scientifique et historique est
interdite », en vertu d'un « tabou ».
Tarek Oubrou a d'autres admirateurs de
Garaudy à qui parler au sein de Fils de France : pas des imams
barbus venus d'ailleurs, non , mais notamment un chrétien bien de
chez nous, le père Michel Lelong, parrain de l'association mis en valeur lors de sa réunion fondatrice .
Catholique intégriste, Michel Lelong fut notamment témoin en faveur
du préfet Papon à son proçès. Il a écrit de nombreux articles
pour la revue à Contre-Nuit , le fan-club officiel de Garaudy, et figure aussi parmi les invités du centre Zahra, les co-animateurs de la liste antisémite de Dieudonné en 2009.
Aux côtés de ces deux penseurs
religieux, l'animateur principal de Fils de France Camel Bechick ne
fait pas non plus dans l'ambiguité concernant son militantisme à
l'extrême-droite : Bechick était ainsi accrédité comme
journaliste de Flash, la revue d'Alain Soral, pour le dernier congrès
du FN.
La référence idéologique de Bechick,
c'est Maurras, comme il l'explique dans un entretien donné à un site royaliste . Pas très nouveau, comme référence
antisémite, Charles Maurras.
Mais le vieil antisémitisme est
toujours une bonne manière de se faire ouvrir des portes , notamment
au Sénat, pour un colloque ou plus, si affinités.
En effet, sans le soutien d'un élu de
la République , pas question d'organiser quoi que ce soit au Sénat.
L'élue en question qui a accueilli le colloque de Fils de France
n'est pas une sénatrice élue avec les voix des infâmes de la
banlieue, mais avec celle des habitants de l'Orne, département où
l'on croise peu de cités « islamisées », convenons-en.
Centriste, actuellement élue sous les
couleurs de l'UDI, Mme Goulet a bien des liens avec des personnalités
de l'islam politique international, mais pas avec des terroristes
recherchés par Interpol. Présidente du groupe amitié
France-Turquie au Sénat, elle s'est faite la porte parole des
opposants à la reconnaissance du génocide arménien et ne trouve à
redire aux massacres en Syrie que depuis l'affrontement entre le
gouvernement turc et Assad.
Fidèle alliée du régime iranien,
elle est également présidente du groupe France-Pays du Golfe, et a
rédigé un rapport officiel pour le Sénat , à propos de la
coopération militaire entre la France et les Emirats Arabes Unis.
Depuis ce colloque très officiel ,
Fils de France a croisé la route d'un autre membre de l'UDI, et pas
n'importe lequel : c'est notamment avec Charles Beigdeber,
ex-candidat à la présidence du MEDEF, secrétaire de l'UMP , grand
patron reconnu, que l'association d'Oubrou et de Bechick organise une
manifestation contre le droit au mariage pour tous le 17 novembre.
Parmi les organisateurs, on retrouve trois autres députés de l'UMP,
dont Jacques Myard, membre de la Droite Populaire et opposant
historique aux lois anti-négationnistes et protégeant les victimes
de crime contre l'humanité, de la loi Gayssot à la loi contre la
négation du génocide arménien.
On croise également un animateur des
Grosses Têtes, Perroni et un chroniqueur de Marianne, Roland
Hureaux, souverainiste ne cachant pas ses sympathies pour Nicolas
Dupont-Aignant...qui fut invité d'honneur de la réunion fondatrice
de Fils de France.
La petite association de l'imam de
Bordeaux, Tarek Oubrou a donc réussi le tour de force de réunir
autour d'elle des élus de droite, des journalistes reconnus ou des
grands patrons, et de se faire ouvrir les portes du Sénat en
quelques mois d'existence, et ce malgré les proximités affichées
de ses initiateurs avec l'extrême-droite la plus antisémite qui
soit.
A la réunion inaugurale de Fils de
France, on croisait même Robert Ménard, qui a renvoyé l'ascenseur à Camel Bechick en l'invitant à son émission sur RMC.
On cherchera en vain quelque
protestation de la part des pourfendeurs du « nouvel
antisémitisme », toujours prompts à dénoncer l'islam des
caves importé d'ailleurs, toujours prompts à pointer du doigt le
musulman pauvre ou immigré.
Il faut dire que Fils de France a un
atout très utile dans la France des années 2010 : voilà des
musulmans qui se revendiquent patriotes, anti-immigration,
anti-progressistes, et surtout pas de gauche. De bons français,
comme les aimait leur maître à penser Maurras, cette figure
historique du vieil antisémitisme, qui a toujours eu droit de cité
au sein de la bourgeoisie française.
Autour de Fils de France, alliance de notables de droite connus pour leurs positions racistes avec l'extrême-droite antisémite, et les secteurs les plus réactionnaires de l'islam se fait tout à fait tranquillement au plus haut niveau de la République et sans être dénoncée. Bien au contraire, les partenaires de cette alliance utilisent eux_même la théorie du "nouvel antisémitisme" pour nier le leur, qui n'est que la continuité d'une longue tradition européenne.
Et à l'extérieur de cette alliance, les voix de gauche qui n'ont de cesse, elles aussi, d'affirmer que le péril antisémite ne vient que d'en bas et que de l'étranger participent à la négation d'un phénomène d'institutionnalisation du fascisme porté par une partie de la bourgeoisie.
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